2ème Bal littéraire... les textes
15 septembre 2018
Médiathèque Alexandre-Vialatte - Ambert
Avec Marie-Ange Colombier, Éric Gratien, Denis Humbert, Monique Jouvancy
et Jean Lenturlu.

En partenariat avec Passeurs de mots, la librairie Tout un monde et avec la Médiathèque de Cunlhat.


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I love rock’n’roll / La roue tourne

par Eric Gratien


J’ai assez peu d’expérience des bals, le côté bonne humeur obligée mâtinée de club de rencontre rur al m’a toujours semblé factice et surtout un peu trop populaire, je suis né élitiste..
En toute franchise, la chanson précédente représente tout ce que je déteste, je ne peux le cacher plus longtemps, les flonflons, la bière rance, l’odeur des saucisses frites et les bagarres à coups de manche de pioche, la variété aussi. Tout cela m’ennuie.
Puis, c’est très dégradant ces réunions où l’agriculteur solitaire vient chercher l’âme sœur. C’est très bas. C’est vrai, vous pourriez rester chez vous devant « l’Amour est dans le pré », plutôt que de souiller nos haut-lieux de culture de vos bourrelets adipeux et sautillants.
Aussi, en mon adolescence, ai-je bien plus souvent honoré de ma présence statique et studieuse des bibliothèques que des chapiteaux de bals.
Ça c’était ma position d’adolescent cultivé, alors que je nourrissais des rêves grandioses de réussite. C’était avant qu’un malheur ne s’abatte sur mes souliers vernis et me rappelle aux dures leçons de la vie (ainsi qu’aimait le déclamer l’un de nos poètes récemment disparus, Johnny Hallyday)
A y réfléchir un peu, qu’on soit agriculteur, laitière ou un jeune con pédant, tout ça reste une question de culture, qu’elle soit des céréales ou de l’esprit. Mais cela, c’était avant que l’âge ne vienne m’accabler de ses « ravages ». Et qu’à l’instar d’autre chose, la roue tourne.

La culture, qu’elle soit celle de l’esprit ou des céréales, elle ne vient pas comme ça par miracle. Et dans mon cas, je dois bien dire que ma naissance me prédisposait plus à trouver l’âme sœur dans un bal en me trémoussant au son d’un encravaté bêlant ses mélopées sirupeuses, qu’à un rallye organisé par des élèves de Polytechnique. Je viens d’un milieu modeste. Cependant j’affectionne toujours de parler de théories et de concepts que je maîtrise tout aussi peu que l’agriculture et bien souvent, je continue de m’efforcer de faire illusion en m’affichant de manière pédante.
Les mythes, qu’ils soient ceux de Sisyphe qui pousse son rocher ou le romantisme de l’Eternel Retour, m’ont toujours encombré la bouche et je continue d’en bassiner les oreilles de mon entourage qui, lui continue de se réduire, me trouvant fort pénible.

Nous étions à la fin des années soixante-dix. En ces temps de libération sexuelle, de fin de guerre du Viet-Nam, Dieu dont plus personne ne voulait ressortit mon dossier. C’est, du moins ce que j’ai pensé, lorsqu’un professeur principal m’annonça que j’étais viré du lycée. Même quand il s’agit de choisir un coupable, je sais faire dans la grandeur. Et puis, un tel châtiment ne pouvait être que divin. C’était le prix à payer pour le mépris que j’avais pu afficher à l’égard du bas-peuple. La porte des études se fermait à jamais devant moi. J’étais réorienté en CET (Collège d’Enseignement Technique). J’étais relégué dans les poubelles de l’éducation nationale : l’enseignement technique ! Les tours, les fraiseuses, les étaux-limeurs et autres machines outils seraient désormais mon horizon. Ce n’était pas le pire, les machines et leurs odeurs fétides de lubrifiant et de copeaux de métal étaient presque sympathiques comparées aux élèves qui composaient le reste de la classe.
Le groupe duquel je m’approchais pour lier connaissance en cette rentrée sombre comme l’aube du Déluge parlait avec agitation. Les élèves qui le composaient se racontaient, avec animation et un vocabulaire limité, leur weekend et le bal lors duquel ils avaient perdu :

a- beaucoup d’argent à trop boire
b- leur virginité
c- leur dents à coup de manche de pioche.
(rayez les mentions inutiles ou ne rayez rien)

Nous étions en 1977.
Cette date a une importance. Il n’y avait plus d’espoir scolaire, mais dans les bas-fonds des collèges techniques s’épanouissait une autre forme de culture qui n’était pas validé par les ministères. On appelait cela contre-culture, underground, pop et... surtout en 77, le punk-rock ! Il n’y avait plus d’espoir et de l’autre côté de la Manche les Sex Pistols hurlaient Anarchy in the UK et No Future ! Aux Etats Unis, les Runaways (les fugueuses) devinrent sous la houlette de leur manager Kim Foley, LE girl band punk. Leur chanteuse Cherry Curry s’affichaient sur scène en dessous sexy et porte-jarretelle. Ce n’était pas pour racoler, mais un hommage à son idole, un mec : David Bowie. Il avait été l’instigateur du punk depuis qu’il avait enregistré Ziggy Stardust (un album en référence à Vince Taylor, autre grand proto punk devant l’Eternel). En parlant d’Eternel, c’est à ce moment que j’ai découvert que les voies du Seigneur étaient impénétrables. Dieu ne m’avait pas envoyé dans les poubelles de l’éducation en punition, mais pour faire de moi un élu. L’un de ces prophètes de la nouvelle ère du rock. Best et Rock’n’Folk devinrent, à moi et quelques autres compagnons affichant un QI supérieur à celui d’une mouette mongolienne, nos bibles. Les disquaires obscurs, nos terrains de jeu. Les clubs les plus obscurs, les catacombes où nous répandions notre foi nouvelle.
J’avais trouvé ma voie. Je n’ai pas fait de musique, sinon lors de répétitions chaotiques qui ne donnèrent jamais rien, sinon des gueules de bois carabinées. J’ai par contre écrit pour la bande dessinée, fait de la peinture et rencontré des gens passionnants. Les riffs de Joan Jett, la guitariste des Runaways résonnent encore à mes oreilles, comme des bombardiers lourds déchirant les cieux des théâtres d’opération. En résumé, j’ai une culture exceptionnelle et ce n’est pas demain que je serai un beauf.

Ce soir, profitant du bal littéraire d’Ambert, je suis heureux de vous faire partager cette expérience qui a fait de moi la personne excep...

Hé, attendez !
J’ai dit que j’étais où... ?
Dans...
Dans un bal !!!
Mon Dieu, je dois baisser....

Tant pis, c’est trop bon ! Histoire d’étaler ma culture jusqu’au bout, il ne me reste plus qu’à vous dire rappeler les mots de Kim Fowley, le manager de Joan Jett quand elle n’était « que » guitariste des Runaways et qu’elle n’avait pas encore composé le morceau que nous allons entendre ce soir :

Je t’explique. Le Rock’n roll, c’est un sport de tripes, c’est avant tout un sport d’hommes. C’est pour le Peuple de la nuit, les gosses de l’Enfer, les masturbateurs, les exclus, les sans-grades qui n’ont pas le droit à la parole et aucun moyen de dire : « Eh ! Je hais ce putain de monde. Mon père est un connard ! Fuck aux enfoirés, fuck à l’autorité, je veux un orgasme ! ».
Je veux que tu rugisses, que tu meugles ! Le trip c’est pas libération de la femme, les filles ! Le trip c’est libido de femelles ! Je veux voir les griffes et les morsures saigner le long du dos des mecs ! Allez on y retourne, c’est parti.


Alors :
Put another dime in the juke box, baby. I love rock’n’roll.

En français :
Fous une thune dans le juke-box, bébé ! J’aime le rock’n’roll.