2ème Bal littéraire... les textes
15 septembre 2018
Médiathèque Alexandre-Vialatte - Ambert
Avec Marie-Ange Colombier, Éric Gratien, Denis Humbert, Monique Jouvancy
et Jean Lenturlu.

En partenariat avec Passeurs de mots, la librairie Tout un monde et avec la Médiathèque de Cunlhat.


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Variations sur Marilou

par Eric Gratien


La poussée des tuyères frappa les poussières de l’asphalte décomposé sur le sol. Un nuage de brouillard brun et sec enveloppa les alentours. L’astronef resta en vol stationnaire quelques minutes, il effectua un demi-tour pour se débarrasser de son trop plein d’énergie résiduelle et entama une lente descente vers le sol. Il s’immobilisa près d’un mur sur lequel des graffitis avaient été imprimés définitivement, comme fossilisés par l’impulsion thermo-magnétique de la grande brèche de 86. D’antiques graffs avaient été vitrifiés, ils éclairaient de leur mica luminescent le chantier de fouilles où les aliens venaient de se poser. La zone Verneuil 1991. Dans ce qui avait autrefois été un jardin, la statue d’un humanoïde assis semblait attendre les visiteurs.

L’équipe d’archéologues débarqua sans prendre de précautions particulières. Aucun appui militaire, ni même la moindre protection n’avait été jugée nécessaire pour cette mission. Non seulement le temps ne le permettait pas, mais les savants aliens savaient que la Terre était un désert stérile et inhabité depuis des millénaires. Vêtus de combinaisons bactériologiquement neutres et anti-magnétique les savants pénétrèrent un à un dans la maison qui se trouvait derrière les murs aux inscriptions luminescentes. Le problème de dénatalité qui frappait leur planète était peut-être sur le point de trouver un remède.

Les aliens étaient issus de VV32 et Arp 148, une galaxie en interaction connue autrefois sous le nom d’Objet de Mayall. Leur système souffrait d’une grave dénatalité. Depuis des cycles stellaires immémoriaux, les mâles de leur espèce souffraient d’un manque de désir qui n’avait fait que s’accroître. Les Mayalliens avaient donc envoyé aux quatre coins du cosmos des équipes de chercheurs.
Un consortium privé avait diligenté un groupe spécialisé en recherche fondamentale. Ces chercheurs étaient depuis quelques mois sur une piste du plus grand intérêt depuis qu’ils avaient approché la troisième planète d’un système solaire aujourd’hui éteint. Une planète que ses habitants avaient autrefois appelée la Terre.

Lors de leurs expéditions, les scientifiques Mayalliens avaient été attirés par l’importante ceinture d’artefacts industriels qui entourait la planète Terre. Beaucoup de débris, et aussi beaucoup de satellites affectés à diverses tâches incompréhensibles pour les Mayalliens. Sauf pour un satellite autonome qui continuait d’émettre des sons vers la planète Terre. Et pour les Mayalliens le son était un puissant stimulant sexuel. Les aliens commencèrent à reprendre espoir.

Des missions furent envoyées pour étudier le satellite. Puis on décida de l’explorer. A l’intérieur de celui-ci on retrouva le cadavre d’un homme. Un seul homme et un journal. Pour le reste il ne restait qu’une station radio qui émettait à destination de la Terre et des enregistrements audio innombrables de ce que l’occupant de la station nommait dans son journal, des chansons. Le squelette de l’astronaute tenait en sa main droite une arme de poing. Un déflagrateur Smith et Wesson replica 44 avec lequel il s’était atomisé la tête. L’homme était très semblable physiquement aux Mayalliens.
En décryptant le journal du Major John Bournave. Les sémiologues Mayalliens apprirent que l’homme était une sorte de mystique. A l’arrivée d’ages obscurs sur la Terre, il avait été convaincu que sa planète vivait ses derniers jours. Il avait alors décidé d’adoucir les souffrances qui allaient accabler ses semblables et s’était embarqué à bord d’un station-radio-amateur qui avait été mise en orbite autour de la Terre. Ses intuitions ne l’avaient pas trompé, le chaos et l’entropie s’acharnèrent sur la Terre et en quelque mois, une « brèche » commença de dévorer la planète. Des phénomènes thermo-magnétiques d’une ampleur encore jamais mesurée annihilèrent les données numériques et les systèmes informatiques. Seuls d’antiques modes de communication par ondes courtes continuèrent de fonctionner et permirent un sursaut illusoire à l’humanité. John Bournave avait vu juste. Alors, il se mit à l’ouvrage : soulager les derniers instants de l’humanité en diffusant de la musique à destination de la Terre. Grâce à ses systèmes de culture hydroponiques, le satellite était autonome en énergie et en nourriture. John serait le dernier samaritain, il était aux anges (si l’on peut se permettre l’expression).
C’était sans compter sur la puissance de la musique.

John mit un jour un enregistrement vidéo sur sa platine. Il ne pouvait en voir l’image, mais pour lui, seulement diffuser la musique vers la Terre suffisait à le combler. Et c’est alors qu’il fut victime des transports qui eurent raison de son esprit.


Journal de John Bournave. 10 septembre après la Brèche.

... ce morceau de musique est intolérable. Je ne me contrôle plus. C’est comme si un concentré de libido m’envahissait. Je n’ai plus la force de changer ce disque. Je voudrais le détruire, mais je ne peux m’y résoudre. Je ne peux que passer mon temps à satisfaire mes plus bas instincts. C’est un des effets de la Brèche qui doit s’étendre jusqu’ici... Je....

Le journal s’arrête pendant quelques jours, puis reprend.

Journal de John Bournave. 15 septembre après la Brèche.

... je n’en peux plus. Rien à faire, je ne peux venir à bout des perversions et de l’ordurerie que m’impose la musique. Si je ne peux en finir avec cet artefact diabolique, c’est à ma vie que je dois mettre un terme.
Ayez pitié de moi.

Ici prend fin le journal du Major.

A la lecture du journal, les scientifiques Mayalliens arrivèrent à la conclusion qu’ils avaient trouvé une solution à leur baisse de désir. La chanson contenue dans le lecteur du vaisseau semblait être un remède très puissant à leur problème. Ils allaient de nouveau pouvoir combler leurs femelles et repeupler leur galaxie. Eux ne se feraient pas sauter la tête parce que le désir prenait possession de leur corps. Malheureusement, le disque vidéo ne leur donne aucune indication sonore, il est effacé depuis belle lurette. A sa surface une adresse : 5 bis rue de Verneuil, 75006 Pa ris.

Nous pouvons maintenant revenir au début de notre histoire.
Sur Terre, à Paris, les scientifiques Mayalliens ont traversé le jardin où, assis sur les marches d’un escalier, une statue semblait les attendre. La statue représente un homme à tête de chou. Les Mayalliens sont maintenant dans une pièce où un piano est miraculeusement intact. Sur ses touches, une partition. Le responsable de l’expédition Mayalienne la saisit. Il l’approche de son visage en forme de chou et en lit le titre :

VARIATIONS sur MARYLOU.