Elle avançait en trainant les pieds, parce qu'il faisait chaud, parce qu'il faisait lourd. Parce qu'elle en avait plein le corps de marcher sous ce soleil accablant. Et s'il n'y avait eu que lui pour l'accabler. Mais elle subissait en plus la présence d'un père, d'un frère, d'un cousin. Sans parler de ce grand oncle sortit de nulle part, arrivé quelques mois plus tôt, et qui levait le doigt dans sa direction à chaque injonction qu'il proférait. Comme s'il l'accusait avant qu'elle n'ait le temps de commetre la moindre faute, peut-être en prévision. Elle avançait, comme chaque jour, depuis qu'elle savait marcher, comme toutes les autres femmes de sa famille. Pourtant, depuis l'arrivée du grand oncle prodique, quelque chose avait changé, les vents ne soufflaient plus tout à fait dans le même sens. Et elle ne savais pas très bien si le changement venait du grand oncle, de son père, de son frère, de son cousin. Ou d'elle-même. Cela ne pouvait venir des autres femmes de la famille. Elle en était à peu près sûre. Cela lui aurait pourtant bien allée, une armada féminine regroupée contre l'offenseur patriarcal. Mais elle ne rêvait plus depuis longtemps. Les femmes de sa famille suivaient, et se taisaient. Comme elle, avant que le grand oncle et son doigt qui ordonnait ne vienne la secouer. Elle avançait, dans la même direction, toujours. En tirant derrière elle ce boulet accroché à la chaine de sa vie. Toujours les mêmes corvées, les mêmes sacrifices, les mêmes efforts. Les autres femmes ne se plaignaient pas, elles avançaient pourtant elles aussi, en trainant leur propre charge. Ou celles qu'on leur assignaient. Elles avançaient toutes en silence, gentilles servantes qui obtemptèrent. Avancer, obtempérer. Deux mots qui façonnaient son existence, la décidait pour elle. Pour elles toutes. Les femmes n'étaient pas faites pour diriger. Son père, son frère, son cousin, et maintenant, son grand oncle, le lui avait suffisament répété. Alors elle avançait. Toujours de la même façon, toujours sur le même chemin. Mais aujourd'hui, le boulet derrière elle gigotait. Il bougeait tant et tant qu'elle avait bien du mal à avancer. Elle bénissait ses années d'expériences, de pratique, d'abnégation vouée à l'effort. Finalement, son père, son frère et son cousin avaient eu raison de la pousser, d'insister, de lui créer une volonté carnassière. Elle avança jusqu'au bout du chemin. Jusqu'en haut de cette colline qu'elle connaissait sous tous les angles. Un vent limpide insufflait un espoir nouveau. Elle se pencha sur le boulet qui commençait à sérieusement s'agacer, tout engoncé qu'il était, retenu dans son sac fermé à double tour. Pour un peu, elle l'aurait plaint. Pour un peu seulement. Car lui ne l'avait jamais plainte. N'avait jamais eu de pitié, lorsqu'il l'accablait de son doigt tout puissant. Le doigt ne bougerait plus désormais. Il ne lui ferait plus peur. Ni lui, ni les hommes de sa famille, ni aucun autres hommes vivant sur cette terre. Avant de quitter la colline, de redescendre vers cette nouvelle vie qui n'attendait plus qu'elle, elle déposa une fleur sur la terre meuble. Seule trace du trou fraichement creusé. Une fleur en souvenir, une fleur en emblème. Une fleur qu'elle partagerait plus tard, avec les autres femmes, avec sa fille qui viendrait au monde un jour, avec les filles du monde entier pour qu'elles n'oublient pas et qu'elles répètent en boucle la complainte résistante “Bella cio”.
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Bella ciao
par Marie-Ange Colombier
Elle avançait en trainant les pieds, parce qu'il faisait chaud, parce qu'il faisait lourd. Parce qu'elle en avait plein le corps de marcher sous ce soleil accablant. Et s'il n'y avait eu que lui pour l'accabler. Mais elle subissait en plus la présence d'un père, d'un frère, d'un cousin. Sans parler de ce grand oncle sortit de nulle part, arrivé quelques mois plus tôt, et qui levait le doigt dans sa direction à chaque injonction qu'il proférait. Comme s'il l'accusait avant qu'elle n'ait le temps de commetre la moindre faute, peut-être en prévision.
Elle avançait, comme chaque jour, depuis qu'elle savait marcher, comme toutes les autres femmes de sa famille.
Pourtant, depuis l'arrivée du grand oncle prodique, quelque chose avait changé, les vents ne soufflaient plus tout à fait dans le même sens. Et elle ne savais pas très bien si le changement venait du grand oncle, de son père, de son frère, de son cousin. Ou d'elle-même.
Cela ne pouvait venir des autres femmes de la famille. Elle en était à peu près sûre. Cela lui aurait pourtant bien allée, une armada féminine regroupée contre l'offenseur patriarcal. Mais elle ne rêvait plus depuis longtemps. Les femmes de sa famille suivaient, et se taisaient. Comme elle, avant que le grand oncle et son doigt qui ordonnait ne vienne la secouer.
Elle avançait, dans la même direction, toujours. En tirant derrière elle ce boulet accroché à la chaine de sa vie. Toujours les mêmes corvées, les mêmes sacrifices, les mêmes efforts.
Les autres femmes ne se plaignaient pas, elles avançaient pourtant elles aussi, en trainant leur propre charge. Ou celles qu'on leur assignaient.
Elles avançaient toutes en silence, gentilles servantes qui obtemptèrent.
Avancer, obtempérer.
Deux mots qui façonnaient son existence, la décidait pour elle. Pour elles toutes.
Les femmes n'étaient pas faites pour diriger. Son père, son frère, son cousin, et maintenant, son grand oncle, le lui avait suffisament répété.
Alors elle avançait. Toujours de la même façon, toujours sur le même chemin.
Mais aujourd'hui, le boulet derrière elle gigotait. Il bougeait tant et tant qu'elle avait bien du mal à avancer.
Elle bénissait ses années d'expériences, de pratique, d'abnégation vouée à l'effort.
Finalement, son père, son frère et son cousin avaient eu raison de la pousser, d'insister, de lui créer une volonté carnassière.
Elle avança jusqu'au bout du chemin. Jusqu'en haut de cette colline qu'elle connaissait sous tous les angles. Un vent limpide insufflait un espoir nouveau. Elle se pencha sur le boulet qui commençait à sérieusement s'agacer, tout engoncé qu'il était, retenu dans son sac fermé à double tour. Pour un peu, elle l'aurait plaint. Pour un peu seulement. Car lui ne l'avait jamais plainte. N'avait jamais eu de pitié, lorsqu'il l'accablait de son doigt tout puissant.
Le doigt ne bougerait plus désormais.
Il ne lui ferait plus peur.
Ni lui, ni les hommes de sa famille, ni aucun autres hommes vivant sur cette terre.
Avant de quitter la colline, de redescendre vers cette nouvelle vie qui n'attendait plus qu'elle, elle déposa une fleur sur la terre meuble. Seule trace du trou fraichement creusé. Une fleur en souvenir, une fleur en emblème. Une fleur qu'elle partagerait plus tard, avec les autres femmes, avec sa fille qui viendrait au monde un jour, avec les filles du monde entier pour qu'elles n'oublient pas et qu'elles répètent en boucle la complainte résistante “Bella cio”.