Il y a quelques années, pour Noël, j’ai eu un divorce. Ce n’était pas le Cadeau que j’avais demandé. La lettre était posée sur le coin de la cheminée, mes petits souliers étaient à leur place dans le placard de l’entrée. La lettre disait seulement : Ich wollt' nur glücklich sein (Je voulais seulement être heureuse).
Je me souviens être resté comme une âme en peine sur le canapé du salon, devant le sapin qui clignotait. Bêtement, dirais-je, lui et moi, aussi bêtement l’un que l’autre. L’arbre et le cocu. Bêtement et longtemps, très longtemps. Trois jours en fait. Oui, “En fait”, pas “en fête”, en dépit de cette soirée consacrée. La langue française est pleine de pièges. Et je ne parle pas bien l’allemand. Elle oui. Et pour cause; Nous nous étions rencontrés à Brême, sa ville natale. Je lui disais souvent que c’était un nom à se faire battre. Cela ne la faisait pas rire. J’avais tenté de lui expliquer ce que signifiait “battre les brêmes”, en vain. J’avais fini par comprendre que même si l’humour allemand existe quoi qu’on en dise, et à condition de bien vouloir se donner la peine de fouiller un peu, l’humour allemand, donc, ne supportait pas les traductions approximatives. Les allemands en général ne supportent pas l’approximation, c’est un fait établi. D’ailleurs elle me rétorquait invariablement que Brême se dit Bremen en allemand et que mon jeu de mots n’avait donc pas lieu d’être. Ceci n’est qu’un exemple des innombrables points de détail sur lesquels nous étions capables de dialoguer des heures voire des journées entières. Je m’y étais habitué. Ach so, disait-elle, et c’était comme un signal, un prélude à la discussion. Je m’y étais habitué. Elle prenait pour la circonstance cette voix grave et lancinante qui n’était pas sans me rappeler au féminin ce crooner germanique des années soixante dont j’avais oublié le nom, mais pas le timbre. J’étais amoureux, j’étais hypnotisé, par sa beauté, la sienne dois-je préciser, pas celle du chanteur, autant que par sa voix. Je ne m’étais pas méfié. Pourquoi me dis-je encore aujourd’hui, pourquoi mon dieu te serais tu méfié? Et pourtant, tuméfié, on peut dire que je le fus! Mais au moment précis que j’évoque, j’étais seul, perdu dans le silence, prostré sur ce canapé aux coussins du même vert profond que le sapin factice qui me faisait face, symbole sournois qui me lançait de cruels clin-d’oeils rouges et blancs. Rouge-blanc-rouge blanc-rouge blanc. Trois jours durant je l’ai regardé fixement et j’avais l’impression que mon coeur s’était mis à battre au rythme de cette foutue guirlande. Il ne manquait qu’une sirène pour compléter l’ambiance désespérante dans laquelle je baignais. Trois jours : Die Tage gehen mir nicht aus dem Sinn. Il y avait ça ou à peu près dans la chanson du type dont j’ai parlé, et c’est vrai, ces jours là ne me sortent plus de la tête. Ils m’accompagneront jusqu’au tombeau. Pendant trois jours, sans manger, sans boire, sans rien, j’ai cherché à comprendre en quoi j’avais failli. Elle, en ce qui la concerne, n’avait pas failli, elle m’avait bel et bien quitté. Je me suis longtemps demandé pourquoi et quelle erreur j’avais pu commettre pour qu’elle se tire avec cet Otto… Ne riez pas. Moi aussi, dans la disposition d’esprit qui me caractérisait en général, j’aurais eu tendance à m’esclaffer. Otto, je vous jure ! Gunther, Frantz, Ludwig, Helmuth, même, pourquoi pas. Mais pas ce patronyme ridicule. Bien heureux encore qu’elle ne se prénomme pas Mercédes. Bon, là, affliction ou pas, désespoir ou non, je dois avouer que j’ai ri. C’est méchant, presque xénophobe, d’accord mais mettez vous un instant à ma place. Imaginez vous en train de dire à quelqu’un : « Non, elle n’est plus là, elle est partie avec Otto ». Immanquablement on vous reprendra : vous voulez dire « Avec L’AUTO » ? Et bien non, justement. J’ai fini par me reprendre en main. Ce fut long. Ce fut douloureux. Je me flagellais en répétant sans cesse : Ich wollt' glücklich sein Doch du ließt mich allein. En effet, j’avais retrouvé les paroles de la chanson du gominé au nom d’opérette. Je la fredonne parfois à ma nouvelle compagne qui est norvégienne. Oh ja, das wäre schön, bei dir zu sein, mit dir zu gehen. Et quand elle me demande « pourquoi chantes-tu ça » ? Je lui réponds : Pas pourquoi, Sag Warum , en allemand, on dit Sag Warum.
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Dis pourquoi
par Denis Humbert
Il y a quelques années, pour Noël, j’ai eu un divorce. Ce n’était pas le Cadeau que j’avais demandé. La lettre était posée sur le coin de la cheminée, mes petits souliers étaient à leur place dans le placard de l’entrée. La lettre disait seulement : Ich wollt' nur glücklich sein (Je voulais seulement être heureuse).
Je me souviens être resté comme une âme en peine sur le canapé du salon, devant le sapin qui clignotait. Bêtement, dirais-je, lui et moi, aussi bêtement l’un que l’autre. L’arbre et le cocu. Bêtement et longtemps, très longtemps. Trois jours en fait. Oui, “En fait”, pas “en fête”, en dépit de cette soirée consacrée. La langue française est pleine de pièges. Et je ne parle pas bien l’allemand. Elle oui. Et pour cause; Nous nous étions rencontrés à Brême, sa ville natale. Je lui disais souvent que c’était un nom à se faire battre. Cela ne la faisait pas rire. J’avais tenté de lui expliquer ce que signifiait “battre les brêmes”, en vain. J’avais fini par comprendre que même si l’humour allemand existe quoi qu’on en dise, et à condition de bien vouloir se donner la peine de fouiller un peu, l’humour allemand, donc, ne supportait pas les traductions approximatives. Les allemands en général ne supportent pas l’approximation, c’est un fait établi. D’ailleurs elle me rétorquait invariablement que Brême se dit Bremen en allemand et que mon jeu de mots n’avait donc pas lieu d’être. Ceci n’est qu’un exemple des innombrables points de détail sur lesquels nous étions capables de dialoguer des heures voire des journées entières. Je m’y étais habitué. Ach so, disait-elle, et c’était comme un signal, un prélude à la discussion. Je m’y étais habitué.
Elle prenait pour la circonstance cette voix grave et lancinante qui n’était pas sans me rappeler au féminin ce crooner germanique des années soixante dont j’avais oublié le nom, mais pas le timbre. J’étais amoureux, j’étais hypnotisé, par sa beauté, la sienne dois-je préciser, pas celle du chanteur, autant que par sa voix. Je ne m’étais pas méfié. Pourquoi me dis-je encore aujourd’hui, pourquoi mon dieu te serais tu méfié?
Et pourtant, tuméfié, on peut dire que je le fus!
Mais au moment précis que j’évoque, j’étais seul, perdu dans le silence, prostré sur ce canapé aux coussins du même vert profond que le sapin factice qui me faisait face, symbole sournois qui me lançait de cruels clin-d’oeils rouges et blancs. Rouge-blanc-rouge blanc-rouge blanc. Trois jours durant je l’ai regardé fixement et j’avais l’impression que mon coeur s’était mis à battre au rythme de cette foutue guirlande. Il ne manquait qu’une sirène pour compléter l’ambiance désespérante dans laquelle je baignais. Trois jours : Die Tage gehen mir nicht aus dem Sinn. Il y avait ça ou à peu près dans la chanson du type dont j’ai parlé, et c’est vrai, ces jours là ne me sortent plus de la tête. Ils m’accompagneront jusqu’au tombeau. Pendant trois jours, sans manger, sans boire, sans rien, j’ai cherché à comprendre en quoi j’avais failli. Elle, en ce qui la concerne, n’avait pas failli, elle m’avait bel et bien quitté. Je me suis longtemps demandé pourquoi et quelle erreur j’avais pu commettre pour qu’elle se tire avec cet Otto…
Ne riez pas. Moi aussi, dans la disposition d’esprit qui me caractérisait en général, j’aurais eu tendance à m’esclaffer. Otto, je vous jure ! Gunther, Frantz, Ludwig, Helmuth, même, pourquoi pas. Mais pas ce patronyme ridicule. Bien heureux encore qu’elle ne se prénomme pas Mercédes. Bon, là, affliction ou pas, désespoir ou non, je dois avouer que j’ai ri. C’est méchant, presque xénophobe, d’accord mais mettez vous un instant à ma place. Imaginez vous en train de dire à quelqu’un : « Non, elle n’est plus là, elle est partie avec Otto ». Immanquablement on vous reprendra : vous voulez dire « Avec L’AUTO » ? Et bien non, justement.
J’ai fini par me reprendre en main. Ce fut long. Ce fut douloureux. Je me flagellais en répétant sans cesse : Ich wollt' glücklich sein Doch du ließt mich allein.
En effet, j’avais retrouvé les paroles de la chanson du gominé au nom d’opérette. Je la fredonne parfois à ma nouvelle compagne qui est norvégienne.
Oh ja, das wäre schön, bei dir zu sein, mit dir zu gehen.
Et quand elle me demande « pourquoi chantes-tu ça » ? Je lui réponds : Pas pourquoi, Sag Warum , en allemand, on dit Sag Warum.