2ème Bal littéraire... les textes
15 septembre 2018
Médiathèque Alexandre-Vialatte - Ambert
Avec Marie-Ange Colombier, Éric Gratien, Denis Humbert, Monique Jouvancy
et Jean Lenturlu.

En partenariat avec Passeurs de mots, la librairie Tout un monde et avec la Médiathèque de Cunlhat.


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Ce soir nous irons au bal

par Marie-Ange Colombier

Une nuit sans lune.
Une ville grise, sans saveur, sans souvenirs. Sans feu de projecteur.
Un monde sans Lumière. Pas même un lampadaire pour éclairer les pas du marcheur.
Mais quel marcheur ? Qui oserait rôder dans cette ville, au coeur de cette nuit que même la lune a fuit ?
Le souffle d'un vent intrépide balaye un bout d'affiche fraichement arrachée. Lambeau de la dernière propagande gouvernementale. Etat providentiel, sauveur. Publicités qui dénoncent, bride l'esprit le moins souple. Images soigneusement choisies, pour diaboliser, effrayer ceux qui résisteraient encore.
Des dessins d'enfants, pour toucher l'âme. Des paroles faussement bienveillantes, presque amicales. Pour amadouer.
La soumission par la douceur, et le règne par la peur.
Censure. Mot lancinant, répétitif.
Censuré, le chant.
Censurée, la danse.
Censurée, la musique.
Censurée, la littérature, les beaux mots, les verbes rares, la verve éloquente.
Censuré l'art, devenu grossier, insipide. Dangereux même, pour qui s'y frotterait d'un peu trop près.
Pour parer à cette éventualité, des silhouettes noires habitent chaque coin de rue. Des ombres en faction qui pointent leur arme sur une menace invisible, doigts sur la détente, prêt à lâcher leur feu mortel.
Mais soudain, un visage qui s'échappe d'un mur. Une tête qui tourne à droite, à gauche, qui guette les hommes en noirs, qui les contournent. Des pas dans la nuit, une course affolée, enfievrée. Silencieuse.
Ne pas attirer l'attention des silhouettes noires et des armes meurtrières. Ne pas regarder les pancartes qui détournent l'esprit, qui font naitre les peurs les plus sombres.
Retrouver les autres. Ceux qui refusent la dictature de la terreur, ceux qui vivent autrement. Qui réussissent à maintenir l'écho d'un passé que l'on a détruit.
Au loin, au bout d'une ruelle, un sursaut de lumière, chétif, fragile. Presque une illusion. S'y accrocher, le rejoindre, avant qu'il ne s'éteigne, ne disparaisse à jamais. Si la flamme du dernier brasier perd son souffle, qui saura encore la rallumer ?
La lumière grandit, prend la forme rectangulaire de la fenêtre qui la diffuse. Derrière la vitre, des visages, des corps qui bougent, se déplacent dans un même rythme, un même enchainement. Le nouvel arrivant frappe à la porte, brûlant d'espoir, frémissement d'inquiètude. Il se retourne une fois, deux fois, sur la nuit qui s'est refermée derrière lui. Pas de sentinelle visible, pas d'arme pointée sur lui. Et après ? Il s'en moque finalement. Il se dit qu'il préfère mourir que de vivre sans lumière.
La porte s'ouvre sur une mélodie furieue, victorieuse. Ca le rassure, parce qu'il sait que cette mélodie là sera toujours plus forte que la complainte des balles.
Il entre, repousse la porte derrière lui. Il tend son corps, son coeur, aux émotions qui l'aspirent.
Il oublie ce qui rôde au-dehors
Il ferme les yeux et s'ouvre à la vie qui revient.
En avant le chant,
En avant la danse, la musique,
Porter haut les grands mots, les histoires des anciens, des saltimbanques réjouisseurs qui déclamaient
« Ce soir, nous irons au bal ».